vendredi 6 mai 2011

Ravage - Réné Barjavel

Auteur : René Barjavel
Editeur : Folio
Pages : 313
Prix : 7,30€

« - Vous ne savez pas ce qui est arrivé? Tous les moteurs d'avions se sont arrêtés hier à la même heure, juste au moment où le courant flanchait partout. Tous ceux qui s'étaient mis en descente pour atterrir sur la terrasse sont tombés comme une grêle. Vous n'avez rien entendu, là-dessous? Moi, dans mon petit appartement près du garage, c'est bien un miracle si je n'ai pas été aplati. Quand le bus de la ligne 2 est tombé, j'ai sauté au plafond comme une crêpe... Allez donc jeter un coup d’œil dehors, vous verrez le beau travail! »

Je me souviens avoir lu il y a quelques années "La nuit des temps" et avoir beaucoup aimé. C'est donc tout naturellement que j'avais placé "Ravage", sans doute l’œuvre la plus connue de René Barjavel, dans la liste des livres à lire un jour. L'envie de découvrir ce roman était amplifiée par deux choses. Ravage est considéré comme une œuvre fondatrice de la science fiction française. D'autre part, je me souviens d'une prof de français qui, en matière de SF, ne jurait que par ce livre et 1984 d'Orwell. Un prof de français qui dit du bien d'un roman de SF, ça intrigue. Et c'est donc tout naturellement que j'ai profité du challenge fins du monde pour lire ce classique qui sommeillait dans ma PAL depuis un bon bout de temps. Malheureusement, je crois bien qu'il aurait du y rester car je ressors de cette lecture stupéfait et assez choqué par son contenu.

En 2052 Paris et devenu une immense mégalopole de plus de 20 millions d'habitants. Les hommes sont continuellement assistés par des machines dans leurs moindres taches. Mais quand un conflit mondial va entrainer la disparition de l’électricité cette civilisation va s'écrouler et ses habitants vont devoir réapprendre les gestes les plus simples pour survivre. Ravage suis un groupe de survivants qui va quitter la capitale pour rejoindre à pied un petit village de Provence où il pense pouvoir recommencer leur vie. Une vie plus calme et plus authentique basée sur des valeurs simples comme le retour à la terre et la famille.

Si on se cantonne à l'aspect purement SF, Ravage n'est pas un mauvais roman en soit. Ce n'est d'ailleurs pas un chef d’œuvre non plus. Sa construction est assez classique. Il est divisé en quatre parties qui permettent de découvrir la civilisation imaginée par Barjavel avant le cataclysme, puis l’effondrement de la société, le voyage vers la Provence et enfin la fondation d'une nouvelle civilisation. Personnellement, j'ai trouvé cette société futuriste assez peu crédible car trop marquée par les mentalités du milieu de 20eme siècle. Barajavel a beau imaginer certains aspect futuristes de cette civilisation, l'impression qui reste c'est que cette société qui est décrite c'est celle de l'auteur qui est en train de se déchirer dans une guerre meurtrière. D'ailleurs, les ministres du gouvernement de cette France futuriste font très troisième république. Par contre d'autres passages sont plus convaincants. L'effondrement de la civilisation est très bien décrit, tout comme l'organisation de la population en bandes armées qui s'affrontent pour les dernières boites de conserves trouvées dans les appartements. Ravage est donc un roman qui d'un point de vue purement SF doit être lu avec beaucoup d'indulgence. Il a forcement vieillis et pas toujours très bien.

Mais un livre, surtout un livre de SF écrit à cette époque, c'est aussi une idéologie et celle de l'auteur laisse une étrange impression de nauséabond. Car cette société paradisiaque que ces survivants vont construire en Provence et que l'auteur semble faire sienne, c'est une société qui prône le retour à la terre et bannis toute forme de technologie. Bon moi l'aspect baba cool, regardons pousser les plantes, très peu pour moi mais après tout pourquoi pas. Chacun son trip. Sauf que Barjavel enfonce le clou. Sa société modèle est patriarcale, elle impose la polygamie et les femmes ne sont là que pour pondre des dizaines d'enfants. C'est une société avec à sa tête un patriarche de droit divin qui a pouvoir de vie ou de mort sur ses sujets. L’illettrisme y est montré comme une vertu. En fait de vertu c'est surtout un moyen de maintenir une population dans l'ignorance et donc de mieux la contrôler. Bien évidemment, les élites de cette société savent lire et sont donc éduquées. Barjavel va même jusqu'à décrire des scènes d'autodafé organisées dans la joie et la bonne humeur pour le bien de tous. C'est quand même incroyable qu'un écrivain puisse cautionner cela. Et jamais Barjavel ne prend un peu de distance par rapport à qu'il écrit et remet en cause cette société qui a tout de la dictature fasciste. Si on considère cette œuvre dans son contexte, c'est à dire l'occupation durant la seconde guerre mondiale, il y a comme un relent de travail, famille, patrie qui laisse un sale gout dans la bouche. Et pour couronner le tout, j'ai appris par la suite que ce roman a d'abord été publié en 1942 dans un journal intitulé "Je suis partout" qui s'affichait clairement comme fasciste... Ce n'est peut être pas qu'une coïncidence.

Bref, c'est une très grande déception pour moi. Ravage est un roman très moyen à l'idéologie plus que douteuse. Que des professeurs puissent conseiller ce livre à leurs élèves en le présentant comme un chef d’œuvre de la science fiction me laisse sans voix. Cela dénote une méconnaissance de la SF qui ne m'étonne pas du tout mais en plus c'est pour moi de l'inconscience. On ne peut pas laisser des gamins de 13-14 ans lire ce livre en les laissant croire qu'ils lissent un roman de qualité et sans surtout les accompagner pendant et après cette lecture.

CITRIQ

Challenge Fins du monde

10 commentaires:

Elessar a dit…

Arf, t'as critique est pour moi une grosse déception.
Dans le sens où j'ai aussi adoré la nuit des temps.
J'avais entendu que Barjavel était controversé mais je ne m'étais jamais penché plus sur la question...
Dommage, encore plus si ça gâche une partie de ses livres comme ici.

Anudar a dit…

Alors, cela mérite son explication.

Oui, Barjavel a écrit ce livre en pleine Occupation. A l'époque, le "retour à la terre" est un "élan", osons-le, pétainiste, le chef de l'"Etat français" ayant lui-même déclaré "la terre ne ment pas". Dans une époque elle-même sinistre, il va de soi que l'inspiration de l'auteur devait s'en ressentir. Quant à la publication dans "je suis partout" elle répondait, je crois, au besoin de publier le roman sous forme de feuilleton pour qu'il trouve son public. La preuve : ma grand-mère l'avait lu, à l'époque, alors qu'elle n'avait pas encore dix-huit ans. Or il faut bien reconnaître que toute la presse de l'époque était collaborationniste. En d'autres termes, faut-il reprocher à Barjavel d'avoir publié son livre à l'époque ? D'avoir arrêté d'écrire le temps que l'Allemagne nazie perde la guerre ? Etait-ce plus courageux de rester en France ou de faire comme certains artistes (Picasso) qui se sont mis à l'abri à New York le temps que ça se calme ?

"Ravage" est un roman de SF catastrophiste bien construit, que mon prof de français nous avait fait lire quand j'étais en Quatrième. Il m'a fait une très forte impression, à tel point que je ne l'ai plus jamais ouvert depuis même si j'ai lu d'autres Barjavel depuis et avec beaucoup de bonheur. C'est une oeuvre dérangeante, même très dérangeante, les atroces passages du chapitre "La chute des villes" étant presque moins effrayants que la conclusion où l'on découvre cette société pastorale si jolie et pourtant si pourrie. Un peu comme cette France pétainiste où, dans les ruines de la défaite, certains prétendaient reconstruire tout en se rendant complices de crimes épouvantables. Je n'irai pas jusqu'à dire que Barjavel se livre, dans "Ravage", à une dénonciation masquée de la France de Vichy. Mais sans doute avait-il perçu, d'une façon ou d'une autre, la puanteur derrière la trop belle propagande.

"Ravage" doit en fait être lu au préalable d'un autre roman de Barjavel écrit à la même époque, "Le Voyageur imprudent". Il s'agit encore d'une oeuvre de SF où, grâce au prétexte du voyage temporel, Barjavel retourne visiter le futur entrevu dans Ravage. Il explore même un futur plus éloigné où la guerre de "Ravage" a été, somme toute, la condition d'une évolution ultime de l'espèce humaine vers une forme de fourmilière où chaque individu possède un rôle pour lequel il dispose d'adaptations physiologiques - et où des cerveaux sans corps pensent pour tout le monde dans des tanières. Presque une préfiguration de la société de Gondawa dans "La Nuit des Temps". Là encore, une société "parfaite", sympathique dans un premier temps, et pourtant inhumaine et dont la perfection finit par faire froid dans le dos.

La société pastorale décrite par Barjavel, dans "Ravage", apparaissait sans doute comme une belle préfiguration de la "société parfaite" rêvée par les pontes de Vichy. Je crois que le lecteur ordinaire, à l'époque, celui qui se débattait avec le rationnement et qui, peut-être, se demandait à quel moment il serait arrêté, ou même par qui, se rendait sans doute compte que, là encore, il valait mieux lire entre les lignes.

Pour conclure, je t'invite à venir lire la chronique faite par moi de "La Nuit des Temps", ici même : http://grandebibliotheque.blogspot.com/2010/04/la-nuit-des-temps.html

Guillaume44 a dit…

Tiens je ne sais pas si tu as fait un peu de recherche de billets autour de ce bouquins, la chronique de Sandrine était pas mal du tout à ce sujet :

http://mesimaginaires.over-blog.com/article-ravage-rene-barjavel-39119993.html

Je me rends compte que ça fait bientôt 2 ans que je dois bosser la bibliographie de Barjavel et ses critiques jusqu'à sa mort pour traquer un peu plus d'infos sur cette polémique justement, en vue de chroniquer ce bouquin... Et que j'ai rien foutu !

Space_Bebop a dit…

Je n'ai pas lu "ravage" pourtant ta critique et ton résumé font grandement à un autre roman similaire écrit 40 ans plus tard (!) : "une rose au paradis" ici encore on retrouve le thème du monde post apocalyptique/figure patriarche sauf que c'est le renversement par rapport à "ravage" les héros sont assistés par dans un endroit clos presque parfait pour eux et pourtant les tensions existent jusqu'à implosion et fuite vers le monde sans assistance justement qui sent le soixante-huitard par moments. Les écrits de Barjavel sont souvent marqués par l'époque dans laquelle il vit.

Pitivier a dit…

@Elessar
Je n'était pour ma part pas au courant de la polémique concernant ce livre. La dernière partie m'a vraiment choqué. Je n'arrivait pas à croire ce que je lisais.

@Anudar
Je ne critique pas l'homme et son comportement pendant la guerre. Je juge l'auteur par rapport à son livre. Ce que je reproche à Barjavel est très simple, c'est son total manque de recul vis à vis de cette société post apocalyptique qu'il décrit. Rien dans le livre ne laisse penser qu'il ne cautionne pas ce qu'il écrit... Au contraire. Jamais il ne la remet en cause. Sa société est, n'ayons pas peur des mots, fasciste. Et "Je suis partout" était un journal fasciste et antisémite bien avant la guerre. Je n'ai aucune idée des circonstances qui ont fait que Ravage a été publié dans ce journal mais je trouve que ça fait tache.

@Guillaume
Je lis très peu d'autres chroniques pendant que j'écris les miennes. Trop peur d'être influencé. Je ne connaissais pas celle que tu mentionnes mais je m'y retrouve totalement. Et comme toi je m’interroge maintenant beaucoup sur Barjavel et ses autres livres. Est ce qu'ont retrouve de telle idées dans d'autres de ces romans ? Je me rappelle que certains amis avaient été choqués par la nuit des temps et les martiens noirs par exemple.

@Space_Bebop
Je ne connaissais pas ce roman de Barjavel. Pourquoi pas à l'occasion.

pausanias a dit…

J'avais lu Ravage à 15 ans sans même pouvoir m'imaginer que l'idéologie portée par le livre pouvait avoir quelques relents assez nauséabonds. A cet âge-là, pour moi, tous les livres, et surtout ceux de SF, ne pouvaient qu'être progressistes et porteurs de jolies idées... J'ai été vraiment surpris quand j'ai appris ensuite toute la polémique autour de ce bouquin ! C'est beau, l'adolescence, ce moment où on découvre tout.

Bon là je parle avec le souvenir d'une lecture bien vieille et de la lecture d'une remise en cause totale qui date aussi, je pense qu'il faudrait que je prenne la peine de le relire pour me faire un avis un peu plus clair et un peu plus personnel sur la question.

Guillaume44 a dit…

@ Pitivier : moi de même mais cela m'arrive d'en lire après écriture lorsque je pense à lier d'autres chroniques à mon billet. A mon humble avis il y aurait deux hypothèses possibles : ou bien il a fait un roman dans "l'air du temps" pour s'assurer sa publication (bref une motivation mercantile), ou bien sa critique du pétainisme est tellement légère qu'elle passe au-dessus des censeurs comme du lecteur (c'est ballot dans ce cas). Problème : le seul témoignage de cette époque que j'ai trouvé pour le moment reste une interview de Barjavel dans "Je suis Partout" à la sortie du roman. Et ce n'est pas dans ce torchon qu'il risquait de me donner raison !

Donc chou blanc. Rien à avancer de bien concluant de mon côté. Creusé avec des références, cela ferait un bon mémoire pour un étudiant de lettres ou d'histoire, ça a peut-être déjà été fait ma foi !

Tigger Lilly a dit…

J'avais du lire ce bouquin pour l'école et on avait pas mal parlé des thèmes polémiques.

Je suis partagée sur la question. Après tout on lit bien Céline, qui n'avait je pense rien à envier à Barjavel en matière d'idées nauséabondes.

Guillaume, j'espère que tu auras un jour le courage de réaliser cette petit étude car ça m'intéresse grandement.

Pitivier a dit…

@Guillaume44
Je ne suis pas trop convaincu par la théorie mercantile. Ravage n'a pas du rapporter beaucoup d'argent à Barjavel durant la guerre. Quant à trouver dans Ravage une critique du pétainisme... je cherche encore.

Je vais donner à Barjavel le bénéfice du doute et croire qu'il n'était pas pétainiste et qu'il s'est laissé emporté par une certaine naïveté et un manque de recul. Je pense qu'il y a dans sa vision de cette société parfaite une certaine partie qui vient de lui. Il semble qu'il était vraiment partisan d'un retour à la terre et anti technologie. Et qu'il s'est laissé emporté vers quelque chose de louche sans trop s'en rendre compte.

@Tigger Lilly
Je n'ai jamais lu Céline donc je ne vais pas me prononcer sur ses livres. Mais d'une manière générale je suis tout à fait pour que l'on fasse la distinction entre l'auteur et l'homme. Céline pouvait être la pire des ordures, si ses livres sont des merveilles où ses idées sont absentes, pourquoi s'en priver ?

Maëlig a dit…

Ah, ça me refroidit un peu mais je pense quand même en faire la lecture prochainement, ne serait-ce que pour me faire mon propre avis sur la polémique.
C'est marrant, il y a quelque temps j'avais aussi été mis mal à l'aise par certaines idées derrière un autre classique de la SF, Brave New World (notamment son traitement de la religion).

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