lundi 5 septembre 2011

Chien du Heaume - Justine Niogret

Auteur : Justine Niogret
Editeur : Mnémos
Pages : 222
Prix : 18€

On l'appelle chien du Heaume parce qu'elle n'a plus ni nom ni passé, juste une hache ornée de serpents à qui elle a confié sa vie. La quête de ses origines la mène sur les terres brumeuses du chevalier Sanglier, qui règne sans partage sur le castel de Broc. Elle y rencontre Regehir, le forgeron à la gueule barrée d'une croix, Iynge, le jeune guerrier à la voix douce, mais aussi des ennemis à la langue fourbe ou à l'épée traîtresse. Comme la Salamandre, cauchemardes hommes de guerre... On l'appelle Chien du Heaume parce qu'à chaque bataille, c'est elle qu'on siffle. Dans l'univers après et sans merci du haut Moyen Age, loin de l'image idéalisée que l'on se fait de ces temps cruels, une femme se bat pour retrouver ce qu'elle a de plus cher, son passé et son identité.

Pour son premier roman, Justine Niogret n’a pas choisi la facilité. De prime abord pourtant Chien du Heaume a tout du roman de Sword and Sorcery classique : un monde d’inspiration médiévale, un héro solitaire, une quête. Tout cela pouvait laisser présager quelque chose d’assez classique voire cliché mais il n’en est rien. Au contraire, l’univers de Justine Niogret dégage une forte personnalité et se démarque sur de nombreux points de la production de fantasy actuelle. Son héro tout d’abord, Chien du Heaume, est une femme. Dans un genre où la gente féminine est souvent cantonnée au rôle de plante verte c’est à signaler, même si en l’occurrence Chien du Heaume n’a rien de l’aventurière sexy et musclée. Elle est petite, moche comme un pou et ne se sépare jamais de sa hache, certainement une des armes les moins féminine qui soit. La quête ensuite, motivation extrêmement classique de tout héro solitaire, est ici assez originale. Point de dragon à pourfendre, de trésor à trouver ou d’artefact magique à détruite. La quête de Chien du Heaume est tout autre et bien plus personnelle. Elle recherche son nom. Enlevée à sa mère lorsqu’elle était enfant, elle ne sait plus qui elle est ni d’où elle vient et se fait appeler Chien du Heaume, nom qu’elle a acquis sur les champs de bataille. Enfin, la fantasy de Justine Niogret se déroule dans un univers où magie et créatures fantastique son absentes. Cet univers est extrêmement réaliste à tel point que Chien du Heaume pourrait presque être un roman historique. On imagine très bien l’action se situer quelque part en Europe aux alentour de l’an mille. Cette impression est naturellement renforcée par la langue utilisée par Justine Niogret. Celle-ci incorpore de nombreux termes et expressions médiévales. Le lecteur n’est jamais perdu. Un glossaire à la fin du roman est là pour expliquer (de façon très humoristique) les principaux termes employés et très rapidement on se fait à cette langue si particulière, amalgame de moderne et d’ancien parfaitement dosé, qui participe grandement à l’identité et au charme du texte.

Chien du Heaume c’est aussi des personnages magnifiques, loin des stéréotypes et du manichéisme du genre. Chien du Heaume en premier lieu bien sur. Héro solitaire en quête de son identité mais qui cache un profond traumatisme qui l’a rendu insensible. Incapable d’aimer et d’être aimée, Chien du Heaume est devenu une machine, une boule de haine qui vend sa hache au plus offrant et découpe ses ennemis avec un plaisir non dissimulé. Bruec, le chevalier sanglier ensuite. Archétype du beau gosse mais qui cache un passé trouble. Ce personnage qui sait être tendre et protecteur est aussi parfois manipulateur. Noalle, la femme de Bruec. Mariée au chevalier sanglier alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle s’ennuis à mourir dans le château de son mari où il n’y a rien à faire à part regarder passer les saisons. Cet ennui et cette solitude ont fait ressortir en elle ce qu’il y a de plus mauvais. Et ils sont nombreux les personnages à croiser la route de Chien. Tous plus denses et énigmatiques les uns que les autres. Si le roman a bien une qualité qu’on ne peut lui enlever c’est celle là. Ses personnages vivent, respirent, agissent. Ils occupent l’espace. On les aime, on les déteste. Parfois les deux à la fois.

Par contre, sur d’autres aspects, je serais moins dithyrambique et certaines maladresses viennent parfois rappeler qu’il s’agit là d’un premier roman. Tout d’abord, j’ai trouvé que la notion du temps était mal maitrisée. L’histoire se passe sur des années et si des fois, le temps passe très lentement et l’ennui des chevaliers dans ces grands châteaux froids est parfaitement rendu, d’autres fois ca file à toute vitesse et il n’est pas rare de faire des bons de plusieurs saisons en quelques lignes. Ces variations de rythme rendent assez difficile tout repère dans le temps et je dois avouer qu’à la fin du roman j’ai été bien incapable de savoir combien d’années s’étaient écoulées entre la première et la dernière page. Plus grave et plus surprenant, j’ai relevé dans le récit quelques anachronismes, le plus déroutant étant celui sur l’âge des personnages. Le lecteur apprend ainsi rapidement que Bruec a combattu au coté du père de Chien avant sa naissance, mais au début du chapitre 18 on nous dit que le chevalier sanglier fête ses quarante ans alors que Chien a elle vingt neuf ans… Déroutant... Enfin, dernier reproche qui n’en est pas vraiment un (sur ce point chacun se fera son opinion), très rapidement au cours du récit cette quête d’identité semble passer au second plan à un point où on peut légitimement se demander si Chien, ainsi que l’auteur, sont encore intéressé par cette recherche. Le texte laisse ainsi cet aspect de l’histoire de coté et se concentre plus sur la vie de château, l’ennui des chevaliers lors des longs hivers, les relations entre les différents personnages. Beaucoup je pense peuvent rester perplexe face à ce changement d’orientation et même si je pense que l’auteur a un peu oublié son histoire, force est de reconnaitre que ces scènes de vie sont souvent touchantes et contribuent à donner encore un peu plus d’épaisseur aux personnages. Et puis cette quête d’identité n’est pas totalement oubliée. Elle prend juste une nouvelle dimension, plus intimiste puisque ce n’est plus simplement un nom que recherche Chien du Heaume mais une identité au sens large, une personnalité qui n’a jamais pu se construire faute de modèles et de référents, une féminité complètement sacrifiée, une humanité.

Chien du Heaume est donc un excellent premier roman mais il n’est pas exempts de défauts. L’impression générale qui reste c’est que Justine Niogret a privilégié la forme (le vieux français, l’ambiance, les personnages) au fond (l’histoire et la cohérence du récit). Mais j’ai envie de dire quelle forme… Et le jour où le fond sera d’aussi bonne qualité, Justine Niogret fera partie des plus grands. En attendant je vais très rapidement me plonger dans Mordre le bouclier, la suite de Chien du Heaume. Des personnages de cette envergure et un style de cette qualité, ça ne se refuse pas.

CITRIQ

Ils en parlent également : Lorhkan, Imaginelf, SBM, Lhisbei, Serafina, Efelle

2 commentaires:

Gromovar a dit…

Je le mets en deuxième rideau dans la LAL.

Lorhkan a dit…

Concernant les repères temporels, je pense que c'est totalement voulu et assumé : tout est fait pour garder le lecteur dans le flou (pas de repères geographiques ou chronologiques), dans une ambiance particulière. C'est la même chose dans le roman suivant (à un degré à peine moindre).

Et sur le fait que la quête de Chien passe parfois un peu à la trappe, ça ne m'a pas frappé non plus. Les renseignements ne sont pas faciles à trouver, et il peut se passer de longues périodes sans pouvoir avancer...

En tout cas, tu l'auras deviné, j'ai beaucoup apprécié cette lecture, et je pense que Justine Niogret est à suivre de très près. ;)

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