Frank Miller : Urbaine Tragédie - Jean Marc Lainé

Auteur : Jean Marc Lainé
Editeur : Les moutons électriques
Pages : 210
Prix : 23€

Peu d’auteurs de comic books ont suscité autant l’enthousiasme, le dénigrement et la polémique que Frank Miller. Encensé par la critique française à la fin des années 1980, il fut affublé de tous les qualificatifs. Anarchiste révolutionnaire pour les uns, conservateur réactionnaire pour les autres, Miller est sous le feu des projecteurs depuis trente ans.

Après avoir dépoussiéré des justiciers urbains comme Daredevil ou Batman, Frank Miller a imposé une nouvelle écriture, privilégiant la voix interne des personnages, un découpage aride et frénétique, et un engagement politique dont les super-héros n’étaient pas toujours coutumiers. Avec des œuvres plus personnelles, comme Give Me Liberty, Hard Boiled ou son cycle Sin City, l’auteur s’est définitivement imposé comme une voix forte dans le concert bruyant de l’édition américaine.

Pourtant, il ne fait désormais plus l’unanimité. Ses ratés esthétiques dans le milieu du cinéma, ses prises de positions en faveur du gouvernement conservateur américain, et l’esthétique crypto-fasciste dont il a fait l’un des jouets favoris de sa panoplie, ont attiré sur lui un regard moins amène : si le graphiste éveille toujours les louanges, le scénariste attire davantage les méfiances.

L’ancien enfant gâté des comic books continue son bonhomme de chemin, se lançant sans retenue dans les projets qui le motivent et faisant preuve d’un mauvais goût de garnement dont il ne s’est jamais départi.

Avec leur collection «la bibliothèque des miroirs», l'éditeur lyonnais «les moutons électriques» affiche une volonté, aussi surprenante que courageuse, d'éditer des ouvrages de qualité et de référence sur la bande dessinée et plus particulièrement les comics. Au pays du franco belge, où on a vite tendance à dénigrer cette BD trop souvent associée aux super héros, l'entreprise mérite respect et encouragements. Cela faisait quelques semaines que les volumes consacrés à Jack Kirby et Alan Moore me faisaient de l’œil et lorsque j'ai appris qu'un livre consacré à Frank Miller, l'un de mes auteurs préféré, était en préparation, mon cœur s'est emballé et l'attente interminable à commencé. Attente enfin terminée puisque le précieux est maintenant bien rangé dans ma bibliothèque.

En un peu plus de 200 pages, Jean Marc Lainé dresse un portrait de ce scénariste et dessinateur qui aura marqué des millions de lecteurs par ses héros durs et violents, ses univers sombres et corrompus très influencés par les romans noirs et l’Asie. Jean Marc Lainé s'attache à analyser et décortiquer précisément l'univers de Frank Miller. Chaque auteur a son univers et celui de Miller est urbain. La ville, plus qu'un décor, est une composante essentielle chez Miller. La ville est sale, la ville est sombre. Elle est dangereuse et violente. Jean marc Lainé décortique ensuite les principaux thèmes de l’œuvre de Miller : l'Asie, l'image de la femme, la représentation des vilains, la corruption, l'homosexualité, la violence. Tous ces thèmes sont récurrents chez Miller et Jean Marc Lainé les analyse de façon très documentée en ne se contentant pas des œuvres les plus connue de l'auteur. Et si il y a un thème qui méritait bien une analyse plus poussée, c'est bien la politique. De ce thème, Jean Marc Lainé en fait un chapitre à part entière car le moins que l'on puisse dire c'est que sur le plan politique, Miller est un auteur complexe. Qualifié d'anarchiste à ses débuts, Miller est depuis passé dans le camp des Néo Conservateurs, prenant position favorablement pour l'intervention américaine en Afghanistan. Ce grand écart montre bien que le bonhomme est bien plus complexe que beaucoup le disent. C'est quelqu'un qui se méfie énormément du pouvoir, qu'il juge dangereux. Et cela se retrouve constamment dans son œuvre où les notables, les puissants sont nocifs et corrompus... Enfin, dans un dernier chapitre, Jean Marc Lainé parle de Miller et du cinéma, de l'influence que le cinéma a pu avoir sur lui mais également de l'influence qu'il a pu avoir sur certains cinéastes. C'est aussi également l'occasion de parler des films sur lesquels Miller à travaillé comme scénariste ou réalisateur. Une expérience plus que contrastée où Miller a montré ses limites.

Jean Marc Lainé livre donc avec ce livre une analyse détaillée et précise de cet auteur qui aura marqué son art. Une analyse passionnante qui a le mérite de ne pas se cantonner aux œuvres les plus connu de Miller. Malheureusement cette richesse a un prix, ce livre s'adresse avant tout aux fans de l'artiste. Les novices qui souhaiteraient découvrir Miller par ce biais seront sans doute rapidement perdus. Quoi qu'il en soit, cette lecture m'a furieusement donné envie de me replonger dans The Dark Knight Returns.

Pour aller plus loin, une interview en quatre parties de Jean Marc Lainé : 1, 2, 3, 4