mardi 4 janvier 2011

Rêve de Fer - Norman Spinrad

Editeur : Folio SF
Pages : 383
Prix : 7,80€

Et si, écœuré par la défaite allemande en 1918, Adolf Hitler avait émigré aux Etats-Unis ? S'il s'était découvert une vocation d'écrivain de science-fiction ? S'il avait rêvé de devenir le maître du monde et s'était inspiré de ses fantasmes racistes et belliqueux pour écrire Le Seigneur du Svastika, un roman couronné par de prestigieux prix littéraires ? Etonnante uchronie et terrifiante parodie, Rêve de fer est une dénonciation sans appel et sans ambiguïté du nazisme.

Quel est le comble de la provocation pour un auteur juif ? Ecrire un livre signé Adolf Hitler. C’est en effet l’exercice auquel s’est livré Norman Spinrad au début des années 70. Son livre, le « Rêve de fer », est une mise en abyme. C’est à dire le principe du livre dans le livre puisqu’on y trouve en fait un roman écrit par Adolf Hitler, « Le Seigneur du Svastika ». L’histoire se passe sur une terre ravagée par un conflit atomique. Feric Jaggar, un purhomme, revient dans son pays, la république de Heldon, avec la ferme intention d’y chasser tous les mutants, les métis et les dominateurs zinds (peuples symbolisant la Russie communiste). A la tête de son partis et de son armée de bikers, il va prendre le pouvoir et mettre en place une politique d’épuration raciale afin que son pays, puis la terre entière soit peuplée uniquement de surhommes au génotype pur. On retrouve dans « Le Seigneur du Svastika » toute l’idéologie nazie, le rêve de domination d’Adolf Hitler, sa xénophobie, son obsession d’une race pure. Tout ce qui vient de Heldon est automatiquement associé aux adjectifs pur, parfait, véritable, immaculé, brillant. Au contraire, tout ce qui vient des pays infectés par les mutants et les métis est putride, immonde, puant. L’imagerie utilisée par Feric Jaggar est spartiate et virile. Si au début du roman quelque « purfemmes » interviennent, elles disparaissent très rapidement. Même leur utilité dans la procréation est finalement remise en cause. A coté de cela, les scènes d’amitié viriles aux connotations homosexuelles abondent. Les symboles phalliques sont omniprésents. Feric galvanise ses troupes en brandissant sa grande massue d’un mètre vingt que lui seul peut soulever. Tout cela serait très drôle si le propos n’était pas aussi grave.

Il y a en gros deux façons d’aborder le Rêve de Fer. La première, la plus évidente, est de voir ce roman comme une critique acerbe du nazisme même si certains journalistes stupides y ont vu le contraire. Cette démarche, même si elle est honorable, ne m’a pas convaincue. Elle s’inscrit sans doute dans une époque, un moment de la vie de l’auteur qui la rendait nécessaire. En effet, bien que n’ayant pas connu la Shoah, Norman Spinrad a du grandir avec elle, vivre avec sa présence encombrante et permanente. Son roman est donc sans doute pour lui un moyen de se réapproprier cette partie de son histoire. Ca correspond aussi à une époque où l’opinion publique redécouvrait la shoah au travers des procès de criminels nazis comme celui de Eichmann. Le problème c’est que jamais Spinrad n’a l’ambition d’expliquer la folie du nazisme ou d’apporter une quelconque réflexion sur le sujet. Pour moi sa démarche s’apparente plus à une auto psychanalyse où il exorcise ses démons et ceux d’une génération. Quarante ans plus tard, son roman a perdue de sa force, voire de son utilité. Ainsi, lorsque viendra l’heure pour mes enfants d’aborder cette partie de l’histoire, spontanément je les dirigerai vers des œuvres comme « Si c’est un homme » de Primo Levi ou « Maus » de Art Spiegelman mais certainement pas vers le « Rêve de fer ».

La seconde façon d’aborder ce roman est celle qui m’a le plus intéressé. En effet, à travers « Le Seigneur du Svastika », Norman Spinrad se livre à une violente critique d’une certaine littérature, la SF et la Fantasy de gare, à l’idéologie nauséabonde où trolls et extra terrestres sont exterminés simplement parce qu’ils ne sont pas humains. Cette littérature facile et de mauvaise qualité se nourris, consciemment ou non, des même fantasmes et des même peurs que ceux utilisés par tous les dictateurs du monde pour emporter l’adhésion du peuple : la peur de l’autre. Et à travers cette littérature, Norman Spinrad critique aussi son pays, les Etats Unis, qui jusque dans les années 60 pratiquait une ségrégation raciale dans ses Etats du sud. Donner un prix Hugo à d’Adolf Hitler et son roman ouvertement raciste et eugéniste n’est pas anodin. C’est une façon pour Spinrad de renvoyer son pays face à ses vieux démons. « Voilà comment étaient les Etats Unis au lendemain de la guerre » nous dit il.

Le propos de l’auteur est intéressant. Malheureusement il est illustré par un roman, celui d’Adolf Hitler, assez indigeste. L’histoire, 380 pages de délires racistes et xénophobes, est d’un intérêt proche du néant. Le style très ampoulé est d’une pauvreté confondante. Le livre se résumé à une succession de scènes outrancières et de délires racistes, des pages de descriptions haineuses, des batailles télévisées où la pure et glorieuse armée d’Heldon écrase la vermine grouillante et puante ainsi que les hordes de mutants qui défèquent et urinent à tout bout de champ. Franchement, arriver à lire plus de trente pages sans s’arrêter relève de l’exploit.

Alors oui, c’est vrai, le « Rêve de Fer » est souvent cité comme un des meilleurs romans de Norman Spinrad, l’une des meilleures uchronies. Meilleur, je ne sais pas. Je ne connais pas assez l’œuvre de Spinrad pour juger. Par contre, provoquant, ce roman l’est très certainement. En fait, le « Rêve de Fer » est avant tout un roman générationnel. Pour une certaine classe d’âge, il a du faire l’effet d’un exorcisme. C’était un roman important dans un processus de redécouverte de la Shoah. Aujourd’hui, son intérêt est discutable que ce soit sur le plan historique ou littéraire. Tout au plus peut on apprécier l’exercice de style auquel s’est livré Norman Spinrad. C’est bien peu à mon gout.

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Guillaume44

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10 commentaires:

Guillmot a dit…

Bien vu pour le second axe de lecture, Spinrad a toujours aimé être un anticonformiste et railler les standards de l'imaginaire pour son époque; je pense aux Solariens qui écorche le space opéra de l'age d'or de la SF. Mais c'est vrai que le côté miroir uchronique entre cette œuvre fictive et son auteur, un des pires dictateurs de notre réalité, m'avait intéressé en tout premier lieu de mon côté ;)

BiblioMan(u) a dit…

Je n'ai pas encore lu celui-ci bien qu'il soit depuis longtemps dans ma bibliothèque. En revanche, c'est le "Le Printemps russe" qui reste pour moi le meilleur Spinrad.

Pitivier a dit…

@Guillaume44
Moi aussi je suis venu vers ce roman pour la comparaison qu'il fait entre le nazisme et la SF. Je dois avouer que même si je n'ai pas vraiment apprecié ce livre, sa lecture ne laisse pas indifférent. Ca m'a même donné envie de relire Maus ou Si c'est un homme.

@BiblioMan(u)
Je note le Printemps russe pour une prochaine lecture. En attendant, mon prochain Spinrad sera Oussama.

A.C. de Haenne a dit…

Bon, ça ne donne pas vraiment envie, cette histoire. Pour ma part, c'est Jack Barron qui attend dans ma PàL. Mais ça attendra...

A.C.

Gromovar a dit…

Je m'y suis pas mal ennuyé.

lael a dit…

arf zut, je pensais que c'était un classique qui valait le coup. Enfin qui sait !
Sinon ne me jetez pas des tomates, mais je ne savais pas que Spinrad était encore en vie "-_-
J'ai lu "bleue comme une orange", assez spécial... d'après la fiche wiki le speech de "chant des étoiles" semble tentant, quelqu'un l'a lu ? "Aquaria est une contrée post-apocalyptique régie par les principes de la science "blanche" des énergies renouvelables (les lois du soleil, du vent, du muscle et de l'eau). On y rejette la science "noire" des ancêtres qui reposait sur l'atome et les énergies fossiles et a mené l'ancienne civilisation terrienne à sa perte." ça fait très réaliste vu notre situation... écrit en 80 bien sûr, trop fort...

GiZeus a dit…

Il ne m'a jamais trop tenté. Bien qu'il y ait ce second niveau de lecture, qui me semble intéressant, tout comme toi je ne vois pas l'intérêt de faire une critique du nazisme de nos jours. Peut être que oui dans les années 70, en pleine guerre froide où les rouges étaient considérés comme plus dangereux que les nazis...

Pitivier a dit…

Il ne me semble pas avoir dit qu'un livre critiquant le nazisme avait peu d’intérêt de nos jours. Je pense même le contraire. Une piqure de rappel ne fait jamais de mal. C'est juste que je n'adhère pas à la forme de cette critique. Ça ne me parle pas. Par contre, Maus de Art Spiegelman me bouleverse comme aucune autre œuvre sur le sujet n'arrive à le faire.

Gromovar a dit…

@ Pitivier : Je peux foutre ma merde avant d'aller me faire chier à la prérentrée ?
Je suis toujours fasciné (et ça m'arrive au moins une fois par jour) de voir comment des gens normaux et respectable sont poussés, inconsciemment, par la pression culturelle, à affirmer que bien sûr ils n'aiment pas le nazisme, que bien sûr il ne fait pas oublier, que bien sûr il y a des oeuvres anti nazis qu'on adore, etc...
Je rêve d'un temps où on aura tourné définitivement cette page. Je ne sais pas si je le verrai de mon vivant. Ca fait 43 ans que je vis dans un point Godwin.

Pitivier a dit…

Vas y Gromovar... Viens foutre ta merde.

Moi ce qui me fascine c'est qu'un homme qui a ecrit en 1925 un livre de 800 pages où il expose son programme ait été élu et ait appliqué ce programme, qui a été directement responsable de la mort de 10 millions de personnes, en employant tous les moyens de l'Etat tout en beneficiant de la complicité active ou passive d'une grande partie de la population.

Ce qui me fascine egalement c'est la capacité à oublier des populations. En 1962 il y avait encore 32% des allemands qui avaient une bonne opinion d'Hitler.
Alors vous pouvez penser ce que vous voulez mais moi je ne parierais pas ma chemise que de telles choses n'arriveront plus jamais et ca ne fait pas de mal de temps en temps de se rappeller ce qu'il s'est passé avant de mettre son bulletin dans l'urne.

Quand à Maus. Si tu l'as lu, je pense que tu sera d'accord pour dire que la bd a bcp plus de choses à dire qu'une simple dénonciation du nazisme.

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