jeudi 17 février 2011

American Psycho - Bret Easton Ellis

Auteur : Bret Easton Ellis
Editeur : 10/18
Pages : 527
Prix : 10€

« Je suis créatif, je suis jeune, [...] extrêmement motivé et extrêmement performant. Autrement dit, je suis foncièrement indispensable a la société ».
Avec son sourire carnassier et ses costumes chics, Patrick Bateman correspond au profil type du jeune Yuppie des années Trump. Comme ses associés de la Chemical Bank, il est d'une ambition sans scrupules. Comme ses amis, il rythme ses soirées-cocktails de pauses cocaïne. À la seule différence que Patrick Bateman viole torture et tue. La nuit, il dévoile sa double personnalité en agressant de simples passants, des clochards, voire un ami. Mais il ne ressent jamais rien. Juste une légère contrariété lorsque ses scénarios ne se déroulent pas exactement comme prévu...

« Abandonne tout espoir, toi qui pénètres ici » C’est pas ces mots, fort à propos, que commence American Psycho, roman choc des années 90. En effet, American Psycho est un roman noir, cynique, désespéré, qui parle d’une Amérique, celle des années 80, celle du fric, de la bourse, des années Reagan, symbolisée par Patrick Bateman, jeune Golden Boy travaillant dans une banque près de Wall Street. Il est riche, cupide et matérialiste, obsédé par son physique et son apparence. Il passe des heures chaque jour dans les clubs de sport, dépense des fortunes en vêtements de marque et soins esthétiques, dine tous les soirs dans les meilleurs restaurants, les plus chics, les plus courus, en compagnie des ses amis, tous du même milieu. Et la nuit, il se transforme en psychopathe sanguinaire. Il tue, il viole, il torture. Il choisit ses victimes au hasard et laisse libre court à ses pulsions, de plus en plus violentes, de plus en plus extrêmes.

Le livre, presque entièrement écrit à la première personne, nous plonge au plus profond des pensées de son héro. Un être froid obsédé par le sexe et les tueurs en séries, comme Ted Bundy ou Charles Bronson, qu’il est capable de citer au milieu des conversations les plus anodines. Il n’a pas d’amis, juste des relations, du même milieu social et professionnel, qu’il croise tous les jours sans pouvoir leur donner un nom. Il a une fiancée, Evelyn, mais ils ne s’aiment pas et restent ensemble uniquement pour des questions de statut social. Patrick Bateman est incapable d’éprouver la moindre émotion pour quiconque. Les individus ne l’intéressent pas, ils n’existent pas. D’ailleurs, à aucun moment dans le livre il n’y de descriptions physiques des personnes côtoyant Patrick Bateman. La seule chose que l’on sait d’eux c’est les marques de luxe de leurs vêtements que Bateman énumère inlassablement à chaque rencontre.
« Price aperçoit Ted Madison, appuyé contre la rambarde, au fond de la pièce, vêtu d'un smoking croisé en laine, d'une chemise à col cassé Paul Smith, avec un noeud papillon et une ceinture de smoking de chez Rainbow Neckwear, des boutons de manchette Trianon en diamant, des escarpins de cuir et gros-grain Ferragamo, et une montre ancienne, Hamilton, de chez Saks. »
Au début, Patrick Bateman ne semble pas différent de ses amis. C’est une caricature des Yuppies américains, ni pire ni meilleur qu’eux. Mais au fur et à mesure, son coté noir fait irruption, d’abord doucement, au détour d’une remarque, d’une pensée. Puis, plus Patrick abuse des drogues et de l’alcool, plus ce coté noir prend de l’importance. Bateman se révèle rapidement être raciste, homophobe et misogyne. Et lorsque les meurtres commencent c’est l’escalade sanglante vers l’horreur la plus absolue. Les meurtres sont de plus en plus violents, de plus en plus démesurés. Bateman tue n’importe qui, des clochards, des prostituées, des amis, même un enfant. Il se livre à des viols, à des tortures d’un sadisme extrême, à des actes de cannibalisme. Toutes ces horreurs sont décrites froidement, sans aucune émotion, de la même manière que sont décrites les gardes robes de ses amis. A la fin, on en vient à douter de la réalité. Bateman est dans un tel délire schizophrénique qu’il est impossible de faire la différence entre le vécu et fantasmé.
« Retour dans la chambre. Christie est allongée sur le lit japonais, attachée aux pieds du lit, ficelée avec une corde, les bras au-dessus de la tête, des pages de Vanity Fair du mois dernier enfoncées dans la bouche. Deux câbles électriques, reliés à une batterie, sont fixés sur ses seins, qui ont pris une teinte marron. »
Ce livre est celui de tous les excès, de tous les scandales. C’est le roman qui a valu à son auteur, Bret Easton Ellis, sa réputation sulfureuse et de nombreuses menaces de morts par la même occasion. C’est un roman viscéral qui prend le lecteur par la gorge et le plonge dans les délires de son personnage principal, le force à regarder l’Amérique du fric droit dans les yeux, dans tout ce qu’elle a de plus abject et de plus inhumain. C’est gore, c’est vulgaire, parfois même pornographique. Et en même temps, c’est un livre profondément drôle, bourré d’humour, noir bien sur et cynique.
« Tandis que la vendeuse enregistre les achats de Charles, je joue avec le bébé que Nancy tient dans ses bras, lui tendant ma carte American Express platine qu'il tente d'attraper d'une petite main avide, mais je secoue la tête, prenant une voix haut perchée et lui pince le menton, agitant la carte devant son visage en gazouillant : « Mais oui, je suis un assassin, et je suis un psychopathe, mais oui, tu vois, j'aime bien tuer les gens, oh oui, j'aime bien ça, mon amour, ma petite puce, oh que j'aime ça... » »
C’est un humour à base de comique de répétition, de situations absurdes, de décalages entre une situation et la perception qu’en a Patrick Bateman. Comme par exemple les confusions permanentes d’identités qui reviennent régulièrement au cours du livre. Tous ces banquiers se connaissent se côtoient mais n’arrivent pas à se rappeler leur noms. Qu’elle importance de toute façon, ils sont tous identiques. Ou bien comme ce petit jeux cruel auquel se livrent Patrick et ses amis et qui consiste à humilier les clochards en leur faisant miroiter un billet ou en leur lançant une remarque qui se veut drôle. Ou alors comme cette excuse de devoir rapporter des cassettes au vidéo club que Patrick utilise à chaque fois qu'il veut s'éclipser. Bien entendu, en fait de cassettes, c'est de meurtres qu'il s'agit. Ou encore le Patty Winter’s Show que regarde Patrick Bateman tous les matins. Show racoleur aux sujets douteux. « Rambo existe, je l’ai rencontré », « Eventualité d’une guerre nucléaire », « Les grosses poitrines »…
« Il y avait là une femme qui s'était fait réduire les seins, car elle les trouvait trop importants - cette pauvre idiote. Immédiatement, j'ai appelé McDermott, qui regardait aussi l'émission, et nous avons passé le reste de la séquence à nous moquer de la bonne femme. »
American Psycho est un roman unique, un ovni littéraire. Ce n’est pas un roman facile à lire et il peut facilement heurter certaines sensibilités. C’est un roman qui demande de l’effort de la part du lecteur, effort récompensé au centuple. C’est un roman d’une richesse incroyable qui a bien d’autres choses à offrir que du sexe et de la violence. C’est drôle et cruel. Faire rire de ce qui est ignoble n’est pas un art facile mais Bret Easton Ellis le maitrise parfaitement. C’est un regard acide et sans concessions sur une certaine Amérique, sur une certaine société qui place l’argent avant l’humain, qui pense que ceux qui n’ont pas de Rolex à cinquante ans n’ont pas réussi leur vie. Et s’il fallait trouver une morale à tout cela, elle ne pourrait être mieux résumée que par les deux mots qui concluent ce livre. « sans issue ».

Ce livre a été lu dans le cadre d’une lecture commune organisée par Vozrozhdenyie. Vous pouvez lire les billets des autres participants.
Vozrozhdenyie, Jana, Lisalor, Nanet, Petitepom

10 commentaires:

nanet a dit…

Un livre que je suis contente d'avoir croisé, mais dont je doute de garder un souvenir impérissable... je me demande encore si ce ne sont pas que des rêves, finalement, qui le hantent !

Biz

Pitivier a dit…

Sur ce sujet, la différence de traitement entre le livre et le film est assez marrante. Dans le film ta thèse peut se défendre. Dans le livre il y a quand même quelques éléments qui permettent de penser que tout n'est pas imaginé.
- le clochard qui Bateman rend aveugle et qu'il recroise à la fin du roman
- le détective privé engagé pour retrouver Paul Allen

Mais je ne pense pas que ca soit si important que ca finalement. Réels ou imaginés, ces meurtres sont l'expression d'une personnalité fortement dérangée.

pom' a dit…

il faudra que je vois le film par curiosité

Pitivier a dit…

j'en parle ici :
http://pitivier-blog.blogspot.com/2011/02/american-psycho.html

Jana a dit…

Je partage tout à fait ton avis sur ce roman : noir, dérangeant... Il ne peut pas laisser indifférent.

Kactusss a dit…

Moi aussi j'avais apprécié le livre. Il faut que je me trouve le dvd pour voir.

Shanaa a dit…

Salut Pitiver,

Je découvre ton article suite à ton commentaire laissé sur l'article de jewpack (cet article m'a énervé car je trouve cela dommage de stigmatiser les lecteurs d'une oeuvre).

Comme toi, j'ai adoré American Psycho. Certaines situations sont burlesques et je trouve cela énorme, la plume de BEE est vraiment atypique.

Plus profondément, j'y vois une apologie de l'inutilité de la violence et une dénonce de la déshumanisation totale de la société sous Reagan.

J'ai adoré ce livre et je suis ravi de lire ta chronique, qui est très bien faite.

Je l'ai également chroniqué si cela t'intéresse.

http://talesofshanaa.over-blog.com/article-american-psycho-bret-easton-ellis-63649013.html

Pitivier a dit…

Salut Shanaa

Ton commentaire fait plaisir. Ravi de rencontrer des lecteurs qui ont aimé ce livre. Ça semble assez rare. :)

Effectivement jewpack est passé complètement à coté de ce livre. Cela dit c'est tout à fait compréhensible car ce livre, plus que les autres, ne peut pas plaire à tout le monde. Cela dit, sa critique est relativement mesurée par rapport à d'autres.
http://laculturehajarienne.blogspot.com/2010/12/american-psycho-bret-easton-ellis.html

Moi j'aime ca les livres qui bousculent le lecteur, qui le mette dans une situation inconfortable. Mais ca n'est pas le cas de tout le monde... En tout cas merci pour ton commentaire, et je m'en vais lire ta critique très bientôt.

Shanaa a dit…

Oui j'ai lu la critique de Yogi que tu viens de poster, c'est d'ailleurs cette critique qui m'a motivée à lire ce livre qui trainait dans ma biblio :)

American Psycho est loin de faire consensus (ma mère a néanmoins aimé) mais cela ne le rend que plus spécial. J'aimerais lire d'autre BEE aussi.

Pitivier a dit…

Il y avait une promo à la fnac (peut être encore en cours). 2 livres d'une même collection achetés, un 3eme gratuit parmi une sélection. Et chez 10/18, comme il y avait un BEE dans la sélection, j'ai pu m'acheter ses 3 premiers romans pour le prix de 2.

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